District Court for the District of Delaware, 2 février 2025 N° 1 :20-cv-613-SB
Tribunal régional de Hambourg, jugement du 27.09.2024 – 310 O 227/23
La décision américaine : les contours du fair use et l’entraînement d’une IA
Récemment, la Cour de district du Delaware s’est prononcée sur l’utilisation de contenus protégés par le droit d’auteur pour entraîner un modèle d’IA.
Dans cette affaire, la société Thomson Reuters, détenteur de Westlaw, une des principales plateformes de recherche juridique, s’est opposée à la société Ross, qui développe également une plateforme de recherche juridique intégrant un moteur de recherche basé sur l’Intelligence Artificielle (IA).
Pour perfectionner son moteur de recherche, la société Ross a entraîné son IA à partir du contenu éditorial et des annotations de Westlaw. Thomson Reuters considère que l’utilisation par Ross de son contenu pour entrainer son IA constitue une contrefaçon de ses droits d’auteur. En défense, Ross soulève l’exception américaine de « fair use ».
Pour rappel, le « fair use » est une exception américaine au droit d’auteur qui évalue, selon 4 critères, si l’usage par un tiers d’une œuvre protégée peut être considérée comme « loyal » et « raisonnable ».
En vertu de cette exception, l’utilisation de contenus protégés par le droit d’auteur ne peut être interdite.
Cette règle implique la mise en balance des intérêts de l’auteur à ce que son œuvre soit protégée et celui des tiers à ce que l’œuvre puisse servir de base à la création d’un autre objet.
Les 4 critères sont les suivants :
- Le but et la nature de l’usage
- La nature de l’œuvre protégée
- L’étendue de l’utilisation de l’œuvre protégée et dans quelle mesure cette utilisation représente une part importante de l’ensemble de l’œuvre protégée par le droit d’auteur ;
- Les conséquences de cet usage sur le marché.
Ces critères sont appréciés in concreto par le juge.
Dans cette affaire, c’est sur le fondement notamment des 1er et le 4e critères que la cour américaine s’est prononcée en faveur de la protection des droits de l’auteur.
En effet il n’était pas contesté que l’objectif de Ross en utilisant le contenu de Thomson Reuters, était de créer un outil de recherche juridique concurrent. En conséquence, l’impact sur le marché de la recherche juridique aurait été la naissance d’un nouveau concurrent, à laquelle Westlaw aurait involontairement participé !
Après analyse de ces critères, et estimant que « le second facteur importe moins que les autres, et le quatrième plus » (traduction libre), le juge considère que l’usage par Ross du contenu protégé de la plateforme n’est pas loyal. En conséquence, il ne retient pas l’exception de fair use soulevée par Ross.
Cette décision nous en apprend plus sur la manière dont l’utilisation de l’IA est encadrée par le droit états-unien.
Dans cette affaire, l’IA est regardée comme le serait n’importe quel autre moyen permettant la contrefaçon. Le juge ne tire aucune conséquence du fait que le moteur de recherche de Ross se base sur l’IA. Il statue uniquement sur l’existence ou non de la contrefaçon résultant de l’entraînement de cette IA sur des contenus protégés par le droit d’auteur.
Par conséquent, même si la cour prononce un jugement en défaveur de l’utilisateur d’IA, elle n’interdit pas sa pratique tant qu’elle est conforme à la l’exception de fair use.
Cette récente décision devrait s’appliquer également dans les pays du Common law qui utilisent la doctrine très similaire du « fair dealing ».
Elle se rapproche également de notre propre appréhension de l’IA dans le cadre du droit d’auteur en Europe via l’exception de « fouille de textes et de données ».
Le point de vue européen : l’exception de fouille de textes et de données
La fouille de textes et de données, ou datamining, est une exception aux droits d’auteur définie par l’article L122-5-3 I) du Code de la propriété intellectuelle comme « la mise en œuvre d’une technique d’analyse automatisée de textes et données sous forme numérique afin d’en dégager des informations, notamment des constantes, des tendances et des corrélations ».
En d’autres termes, c’est le procédé technique et automatisé par lequel les IA analysent de grandes quantités de données pour parfaire leurs connaissances et leurs capacités. Sous certaines conditions, cette fouille de textes et de données peut s’affranchir du monopole de droit d’auteur.
C’est la Directive du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique qui a introduit ces exceptions au droit d’auteur dans deux articles :
- L’article 4 qui instaure une exception générale : il permet la fouille de textes et de données en permettant cependant aux auteurs de s’y opposer, en l’exprimant expressément en amont (opt-out).
- L’article 3 qui pose une exception spécifique : il autorise la fouille de données sur des œuvres protégées par le droit d’auteur accessibles de manière licite, si cet usage est effectué par des organismes de recherche et des institutions du patrimoine culturel à des fins de recherche scientifique et à but non lucratif.
Ces articles sont d’ailleurs respectivement transposés en droit français aux articles L122-5-3 III) et L122-5-3 II) du Code de la propriété intellectuelle.
Le Tribunal régional d’Hambourg a récemment eu l’occasion de statuer sur la base de cette directive.
Le tribunal a en effet rendu le 27 septembre 2024 la première décision mettant en application les articles 3 et 4 de la directive de 2019, tels que transposés en droit allemand.
Dans cette affaire, les juges ont élargi la portée de l’article 3 de la directive concernant l’exception à des fins de recherches scientifiques.
Ils ont considéré qu’un photographe ne pouvait pas s’opposer à l’intégration de ses photos dans une base de données pouvant être utilisée pour entraîner des IA génératives, car si la constitution d’une telle base de données n’était pas directement affiliée à la recherche scientifique, son accès libre et gratuit, donc sans objectif commercial, pouvait permettre à des scientifiques de l’utiliser, lui donnant ainsi indirectement une valeur scientifique.
Finalement, que ce soit via la règle du fair use pratiquée aux Etats unis ou au travers de l’exception de fouille de textes et de données dans l’Union Européenne, l’on retiendra que :
- L’entraînement d’IA à partir d’œuvres protégées est un procédé qui n’est pas interdit par principe ;
- L’usage est admis et facilité dans le cadre d’objectifs non lucratifs et de recherche scientifique ;
- En revanche, l’exploitation commerciale, sans autorisation, constitue un acte de contrefaçon exposant son auteur à des sanctions.
District Court for the District of Delaware, 2 février 2025 N° 1 :20-cv-613-SB
Tribunal régional de Hambourg, jugement du 27.09.2024 – 310 O 227/23
Pour toute question ou demande, vous pouvez contacter nous ici.