Les pratiques anticoncurrentielles persistent dans le monde des affaires, et l’Autorité de la concurrence en France demeure vigilante pour garantir un environnement concurrentiel équitable.
L’abus de position dominante, en particulier, est rigoureusement encadré pour prévenir toute distorsion de la concurrence, notamment par l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne mais également en droit interne à l’article L420-2 du Code de commerce.
L’Autorité de la concurrence en France joue un rôle clé en veillant au respect de la concurrence et à la compétitivité des marchés sur le territoire national mais également en sanctionnant les entreprises qui ont recours à des pratiques déloyale portant atteinte à la libre concurrence sur le marché.
Dans une décision récente du 20 décembre 2023 (décision n°23-D-14), l’Autorité de la concurrence s’est prononcée sur la conformité de pratiques dans le secteur des consoles statiques de jeux vidéo de huitième génération et des accessoires de contrôle de compatibilité avec la console PlayStation 4.
En l’espèce, la société Subsonic, un fabricant français de manettes de jeux vidéo, avait saisi en 2016 l’Autorité de la concurrence de différentes pratiques mises en œuvre par le groupe Sony.
Les services d’instructions ont relevé en 2019 des préoccupations de concurrence concernant deux pratiques pour quatre sociétés du groupe Sony, à savoir :
Le déploiement, à compter de novembre 2015, d’un dispositif de contre-mesures techniques visant à affecter le bon fonctionnement des manettes de jeux tierces que le groupe Sony présumait contrefaisantes ;
Le refus d’adhésion au programme officiel d’octroi de licences du groupe Sony pour certaines entreprises souhaitant commercialiser des manettes de jeux compatibles avec la console PlayStation 4.
En effet, Sony a conçu et commercialise depuis 2013 la console PlayStation 4, console de huitième génération, ainsi qu’une manette pour cette dernière, appelée DualShock 4, dont un exemplaire est vendu avec la console.
D’autres opérateurs commercialisent des manettes sur le marché mais le modèle conçu et commercialisé par Sony reste la manette de référence pour les utilisateurs de ladite console.
Pour qu’une pratique dite anticoncurrentielle soit caractérisée, notamment en matière d’abus de position dominante, une position dominante sur un marché pertinent doit être établie.
L’Autorité de la concurrence a retenu que le marché pertinent en l’espèce était le marché national amont de la fourniture de manettes de jeux conçues pour la console Playstation 4.
De plus, les parts de marché en France de 2015 à 2020 des manettes commercialisées par Sony et spécialement conçues pour la PlayStation 4 dépassent très largement 50 %, ce taux ne comprenant pas les manettes DualShock 4 vendues avec la console.
Ainsi, l’Autorité de la concurrence a affirmé que ce résultat est un indice très fort d’une position dominante sur ce marché, les parts de marché étant extrêmement élevées.
Rappelons que Sony est titulaire de divers brevets sur les manettes pour PlayStation 4.
Néanmoins, aucun jugement en France n’a qualifié les manettes des fabricants concurrents de contrefaçon de brevet.
De plus, les brevets sur lesquels Sony fondait des droits de propriété intellectuelle ont expiré ou étaient sur le point d’expirer.
Ainsi, les brevets, tombés dans le domaine public, ne permettaient pas de justifier d’après l’Autorité de la concurrence la mises en place des pratiques visées dans l’affaire.
En outre, certains fabricants tiers produisent des manettes pour la console PlayStation 4 licenciées par Sony dans le cadre de son programme de partenariat Official Licensed Product (ci-après « OLP »). Ce programme permet à ces fabricants d’utiliser le logo et la marque de Sony sur leurs produits, mais également de bénéficier d’un numéro unique d’identification au même titre que les manettes Sony.
Cependant, toutes les manettes concurrentes ne sont pas nécessairement licenciées par Sony, telles que les manettes fabriquées par Subsonic.
Rapidement, Sony a constaté que des manettes contrefaisantes circulaient sur le marché.
En effet, les contrefacteurs pirataient et utilisaient les clés d’identification et de cryptage des manettes contrefaites afin de cloner leur numéro d’identification unique pour les associer aux manettes contrefaisantes.
Afin de lutter contre la contrefaçon de ses droits de propriété intellectuelle, Sony a développé un dispositif de contre-mesures techniques permettant la déconnexion automatique et systématique des manettes ne disposant pas d’un numéro unique d’identification, ces dernières étant considérées comme contrefaisantes pour Sony.
Néanmoins, toutes les manettes ne disposant pas d’un numéro unique d’identification ne sont pas pour autant contrefaisantes. C’est notamment le cas des manettes tierces non licenciées.
Par conséquent, aussi bien les manettes de fabricants tiers non contrefaisantes que les manettes contrefaisantes se retrouvaient affectées par le dispositif technique de contre-mesures mis en œuvre par Sony et étaient ainsi déconnectées.
Il est à noter qu’il n’existe pas à ce jour d’autre possibilité pour obtenir un numéro d’identification individuel unique contrôlé par Sony et ainsi éviter les contre-mesures techniques que d’adhérer au programme de licence OLP.
Cependant, en parallèle des actions controversées de contre-mesures techniques, Sony n’offrait pas la possibilité à tout fabricant, de manière équitable, d’accéder au programme OLP, garantissant l’octroi de licences et de numéros d’identification uniques.
En effet, l’Autorité de la concurrence a souligné que les critères d’accès au programme OLP de Sony restaient opaques pour certains des fabricants intéressés, notamment Subsonic, la communication de ces derniers étant à l’appréciation discrétionnaire de Sony.
Finalement, le déploiement d’un dispositif de contre-mesures techniques en combinaison avec le refus discrétionnaire d’octroyer des licences aux fabricants de manettes tierces non licenciées, a non seulement impacté négativement l’image de marque des concurrents, mais a également freiné leur expansion sur le marché susceptible de les évincer.
En effet, les fabricants tiers non licenciés, tout comme les utilisateurs finaux, n’étaient pas avertis des déconnexions à venir mais également que l’achat de ces manettes pouvaient engendrer des déconnexions intempestives.
Par conséquent, l’Autorité de la concurrence a considéré que les pratiques mises en œuvre par Sony était largement et en tout état de cause disproportionnées permettant ainsi de les qualifier de pratiques anticoncurrentielles.
La décision de l’Autorité de la concurrence condamnant Sony pour ces pratiques opaques souligne, en outre, l’importance de la transparence dans les politiques d’octroi de licences pour assurer une concurrence équitable.
Partant, l’Autorité de la concurrence a condamné solidairement trois filiales et la société mère du groupe Sony à une amende totale de 13 527 000 euros pour des pratiques anticoncurrentielles, notamment pour abus de position dominante sur le marché de la fourniture de manettes de jeux vidéo pour consoles PlayStation 4, pendant une période de quatre ans.
Cette décision est susceptible d’appel.
Source : Décision n° 23-D-14 du 20 décembre 2023 relative à des pratiques mises en œuvre dans les secteurs des consoles statiques de jeux vidéo de huitième génération et des accessoires de contrôle compatibles avec la console PlayStation 4
23d14.pdf (autoritedelaconcurrence.fr)